Lorsque tu démarches les éditeurs aux USA, et que tu expliques que tu travailles pour l'éditeur français Bamboo, comment es-tu perçu ?
Ca dépend... Chez Dark Horse, par exemple, j'ai un contact que j'ai souvent rencontré à Angoulême ou Francfort. C'est l'une des premières personnes que j'ai jointes par e-mail. Je lui ai spécifié que j'étais intéressé par tels et tels titres, en lui expliquant que j'allais monter une collection. Je lui ai envoyé le fichier de présentation de la maison d'édition en Anglais, mais il y avait déjà un rapport de confiance. Avec d'autres personnes, il faut en revanche montrer patte blanche et posséder un dossier solide et carré. Comme l'éditeur est de taille encore restreinte et que nous ne sommes pas encore forcément très connus, il faut plus insister sur le côté relationnel. Souvent, un contact physique, visuel, est demandé, et du coup, la réponse de l'interlocuteur est souvent du type : « OK, et bien nous nous rencontrerons à Angoulême », et d'ici-là, rien n'est entrepris. Il y a un besoin de discuter en direct avant d'entamer toute chose. De mon côté, ça m'a amené à rencontrer des gens que je ne connaissais pas du tout, et j'ai donc dû me présenter moi-même, en expliquant qui j'étais, ce que je faisais, et ce que je voulais.
Le point de départ de ta collaboration chez Bamboo en tant que directeur de collection, c'est Omnopolis, dont tu es le scénariste, et qui est sorti le 11 janvier dernier. Vas-tu poursuivre tes activités d'auteur ?
Pas en tant que dessinateur, mais en tant que scénariste, oui, bien sûr. En ce moment, je travaille sur plusieurs projets, chez Bamboo et ailleurs.
Tu peux t'adresser à d'autres éditeurs, alors que tu travailles chez Bamboo ?
Oui, nous sommes relativement clean à ce sujet. Je montre tout d'abord mes travaux à mon éditeur, Bamboo, et si c'est refusé, je vais voir ailleurs. Par exemple, un projet humoristique m'a été refusé, je vais donc le proposer ailleurs. J'avais également un autre projet avec un dessinateur de chez Delcourt, donc, dans ce cas, c'était directement avec Delcourt que le projet était traité. Et puis il y a la série dans Pif Gadget et celle dans le Journal de Mickey. Au total, ça fait pas mal de travail ! Sur la série du Journal de Mickey, je co-scénarise avec Jérôme Wicky, ce qui permet d'alléger un peu la tâche... Ma grande ambition, c'est de travailler à la fois pour Pif Gadget, le Journal de Mickey et Spirou... Mais ce n'est pas gagné !! Lorsque j'étais gamin, je lisais peu Pif Gadget, ce n'est donc pas vraiment un rêve d'enfant, mais je suis tout de même très content d'avoir figuré dans le numéro un, puis le n°7 et le n°12. En revanche, j'ai lu énormément le Journal de Mickey, donc dans ce cas, c'est vraiment un rêve d'enfant réalisé. Et en plus, c'est une histoire de Mickey lui-même. Il y a des clins d'oeil comics, c'est de l'aventure spatiale, on rit beaucoup !
Tu as d'abord commencé à travailler pour Pif Gadget et le Journal de Mickey avant d'entrer chez Bamboo ?
Oui. A propos de Pif Gadget, au début 2004, un ami commun avec François Corteggiani me dit que l'Humanité veut relancer Pif Gadget et me demande si je voulais bien écrire Doc Justice. Bien sûr, que je voulais bien !! J'ai fait un pitch sur Doc Justice, et sur d'autres séries également, mais rien n'a été retenu. Puis François Corteggiani est devenu rédacteur en chef. En avril, il me téléphone en expliquant qu'il a besoin d'une histoire de résistance pour le numéro un de Pif Gadget qui sortira pour le soixantième anniversaire du débarquement. Je lui réponds que je suis intéressé, et je lui demande la date d'échéance, et il me répond : « T'es déjà en retard ! ». Je suis alors allé chercher une histoire de ma région, Saint-Lô, en Normandie. Ca a été un souk pas possible ! Avec François, il faut travailler sur planche. A la lecture du résultat, il nous dit que rien ne va, énormément de choses sont à reprendre. Je lui explique alors qu'il est possible de scanner les planches et de les retoucher, ce qui gagnerait beaucoup de temps, évidemment. Ce à quoi il répond : « OK, tu t'en occupes et tu me sauves tout ça ! ». Je suis donc allé scanner chez Olivier et Stéphane Peru, puis le studio Makma d'Edmond Tourriol s'est occupé du lettrage et des couleurs. Puis nous avons effectué les corrections chez Olivier et Stéphane Peru, le soir très tard... Nous avons terminé à temps, mais complètement à l'arrache. Et François Corteggiani, très satisfait de ma réactivité, m'a alors proposé un autre travail, avec Patrick Dumas au dessin, sur l'Espagne arabo-andalouse. Je suis allé me documenter, car je ne connaissais pas bien cette partie de l'histoire. Après réflexion, je lui ai proposé de situer l'histoire quelques 200 ans plus tard, au moment de la « reconquista » catholique et de la chute du califat de Grenade, avec les aventures d'un érudit arabe qui fuit Grenade au moment de l'arrivée de l'inquisition. Il me dit OK, car il trouve intéressant d'exploiter les côtés aventure et humaniste de ce genre de situation. J'ai fait un pitch qui a été accepté. J'en parle alors à Jérôme Wicky, et nous avons alors commencé à nous jeter sur l'univers de Pif Gadget, avec Pifou, Hercule, Super-Matou, etc...., mais c'était lourd juridiquement à cause des ayants droit, de la ligne éditoriale, etc.... Du coup, nous nous sommes tournés vers l'univers Disney. Grâce à Jean-Paul Jennequin , nous sommes entrés en contact avec Jean-Luc Cochet, le rédacteur en chef du Journal de Mickey. Nous l'avons croisé à la fête du lancement de Pif Gadget. Nous avons discuté et il nous a expliqué qu'il voulait s'affranchir de l'image un peu niaise de Mickey, dont la seule préoccupation est de ne pas se brouiller avec Minnie. Alors que ces personnages ont actuellement, dans des pays comme l'Italie ou la Norvège par exemple, de grandes aventures, ce n'est pas le cas en France. Ca l'a été il y a longtemps avec la série Mickey à travers les Ages, et il réfléchissait à quelque chose qui pourrait ressembler à Mickey à travers les Mondes, avec des voyages de planète en planète. Nous nous sommes donc orientés vers un pitch dans lequel Mickey retrouve son ami extra-terrestre Iga Biva, et part explorer les planètes. L'idée a plu, d'autant que le personnage de Mickey devient plus pro-actif. Nous avons même trouvé un moyen de lui faire porter une arme, alors que sur la charte il est formellement stipulé qu'il n'a pas le droit. Mais dans ce cas précis, c'est un « ballonisateur », qui transforme les gens en ballons. Du coup, c'est passé. Le dessinateur a semble-t-il été content, car il voulait une histoire qui bouge, dans laquelle il y ait de l'action. Et comme Jérôme et moi venons de la presse, il nous a été facile de nous plier aux impératifs éditoriaux et de délais, avec lesquels nous étions déjà familiarisés. Jérôme a plus que moi la connaissance de l'univers Disney, et il a un feeling pour cela. Et des idées de génie, aussi ! De mon côté, j'apporte une structure, un dialogue. Pour l'instant, pour nous, il est plus confortable de fonctionner à deux. De cette façon, nous allons apprendre à travailler avec les gens du Journal de Mickey, et nous allons nous familiariser avec les personnages de cet univers. Après, nous verrons...
Le Journal de Mickey, Pif Gadget, Bamboo, ça représente un spectre d'action très large, des courants BD très différents...
C'est ça qui m'intéresse ! J'ai toujours lu plus de comics que du reste, mais j'ai toujours lu aussi beaucoup de franco-belge, des magazines et des mangas. Quand j'ai quitté Semic, je voulais rester dans le papier. Par exemple, récemment, j'ai relu des romans War Hammer et j'ai traduit des jeux de rôles. Ca reste du domaine de l'édition, du papier, mais c'est autre chose, ce n'est pas le même univers, ce n'est pas la même technique d'écriture, ce ne sont pas les mêmes équipes éditoriales auxquelles j'ai à faire, et il y a surtout des différences dans les pratiques culturelles, dans la façon de parler, de communiquer, de s'exprimer. Ce qui est intéressant pour moi, c'est de ne pas faire que de la BD. Par exemple, j'ai fait un article sur Batman pour un magazine pour enfants, Maniak (qui n'a pas été publié, hélas : le journal s'est arrêté). C'était intéressant, car ils ont une façon de travailler différente, ils n'ont pas les mêmes impératifs. Intellectuellement, c'est très stimulant. Du coup, parfois, les journées sont un peu courtes... !! Il faudrait que je trouve la machine temporelle qu'avait utilisé Superman pour s'entraîner contre Cassius Clay. Ainsi, je pourrais avoir des journées de 72 heures, le rêve !! C'est le problème quand on est passionné par ce que l'on fait et que l'on ne sait pas dire non... En ce moment, j'ai en stand-by une traduction pour Delcourt, une autre pour Bamboo, de la relecture pour Semic, deux conférences, j'ai bien sûr la collection Bamboo à m'occuper, et mes divers scénarios...
Tu fais de la traduction pour Delcourt ?
Oui, et ça m'est arrivé d'en faire également pour les Humanos et Métal Hurlant. J'ai aussi fait une traduction de trois nouvelles de Jean-Marc Lofficier pour les Moutons Electriques, dans un collectif consacré à Arsène Lupin. C'est encore un tout autre exercice, la traduction. L'ambiance était différente car je connais Jean-Marc et en plus il est Français. Je pouvais donc lui demander conseil lorsque cela me semblait nécessaire. Ca a été une très agréable et très intéressante expérience. En fait, actuellement, je me sens un peu comme un poulpe : Un pied dans la BD, un pied dans le jeu de rôle, et un pied dans la science-fiction.
Combien de titres Bamboo sont-ils prévus ?
Il y a en a six pour l'instant : 303, Spyboy, Ingenieries, Lions, Elsinor et Chosen. Au total, cela représente environ une vingtaine de volumes signés. D'autres titres seront également bientôt disponibles : Hawaïan Dick. C'est un produit sur lequel je suis très convaincu. D'autres le sont moins. On va donc le suivre de près. WildGuard, de Todd Nauck . La Star Academy des super-héros. Nous avons les droits pour la première mini-série, sachant qu'aux USA, il y a maintenant de quoi en réaliser une deuxième. Il y a également Beautiful Killer et New West, par Phil Noto, de chez Black Bull Entertainment. Et d'autres titres que j'ai oubliés ! Et il y a également des choses en négociations dont nous ne sommes pas encore certains... Je suis sur un créneau que Jérôme Martineau de Carabas-Semic n'utilise pas, car il est plus branché histoires d'horreur très graphiques comme Ashley Wood, par exemple. Du coup, je ne suis pas en réelle concurrence avec lui, ou du moins pas encore. En revanche, je suis en concurrence directe avec Thierry Mornet, chez Delcourt. Avec Thierry, on discute de ce que l'on veut faire. En fait, nous n'avons pas le même positionnement éditorial, nous n'avons pas les mêmes rapports avec certains auteurs ou certains éditeurs. Du coup, des choses se font avec Delcourt, d'autres avec Bamboo. En général, on ne se fritte pas, car il y a une bonne compréhension de ce que chacun veut faire.
Et le marché est encore suffisamment ouvert...
Oui, et puis nous ne sommes pas là pour se brouiller, car il y a par-dessus une relation humaine et d'amitié qui est très importante, et qui a son rôle dans tout ça. Par exemple, en ce moment, je fais de la relecture pour Semic, je suis donc amené à croiser souvent Jérôme. Nous discutons beaucoup. Il vient de lancer une collection manga qui, apparemment, rencontre un certain succès. Et les quelques comics qui sortent encore marchent pas mal. Comme Concrete, par exemple. Prenons le cas de Grendel : Tout le monde s'est cassé les dents dessus, mais là, il a une vraie collection pour encadrer Grendel, une légitimité, qui lui fera rencontrer sûrement plus de succès. Il réédite d'autre part Age of Reptile : Ca ne lui coûtera pas cher en production et en lettrage, et en plus c'est un bon produit, il a raison de le rééditer. Si j'étais parti de chez Semic six mois plus tard, nous nous serions retrouvés en concurrence pour Chosen. Mais comme je suis parti rapidement, ça n'a pas été le cas, et Jérôme m'a d'ailleurs félicité pour Chosen. Tout ça pour dire que je suis en bon terme avec tout le monde, et que je ne cherche pas à me fâcher. Je ne peux pas dire que je n'ai pas d'ego, car ce serait faux. Je dis ouvertement que c'est ma collection, car c'est moi qui la dirige. Même s'il y a des décisions collégiales, c'est moi qui vais à la recherche des produits nouveaux, et qui négocie les prix. Et s'il y a un problème, c'est moi qui me fâche avec les gens. Mais je n'ai pas un ego suffisamment poussé pour aller me fâcher avec des concurrents qui sont en fait des connaissances très amicales ou des vrais bons copains. En plus, les problèmes arrivent tout seuls, sans aller en créer des supplémentaires : Un bouquin imprimé à l'envers, un bouquin qui ne se vend pas, un pelliculage raté, un journaliste qui t'assassine dans un article, etc. Ce n'est pas la peine d'aller en créer d'autres en faisant les gros bras auprès de la concurrence. Nous sommes là pour construire une belle collection, un produit pour le lecteur. Après six ans de travail chez Semic, je connais pas mal de monde dans la profession, et il y a plein de gens que j'aime bien. Et ceux que je n'aime pas, je ne leur parle pas.
Comment s'effectuent les renouvellements des droits de publication pour les séries américaines ? Est-ce une renégociation complète ?
Pour commander la suite, c'est souvent un nouveau contrat à signer. Ce peut être un avenant au premier contrat. Ou alors l'exploitation est reconduite : Le stock est épuisé, il y a une réimpression et prolongation du droit d'exploitation. Par exemple, nous avons un contrat pour Spyboy 1 et 2, et un autre pour Spyboy 3 et 4. Si les deux premiers numéros sont épuisés, nous réalisons un avenant au contrat, puis les numéros sont réimprimés, et nous avons alors les droits pour l'exploitation sur une durée plus longue. C'est un peu comme une licence. On a les droits d'exploitation, alors que l'auteur, lui, détient les droits d'auteur. C'est en fait comme en France : Si un album est épuisé, l'éditeur le réimprime. Si ce n'est pas le cas, car l'éditeur se focalise ailleurs, ou alors parce qu'il s'est fâché avec l'auteur, ou parce qu'il fait faillite, les droits d'exploitation reviennent à l'auteur qui va alors chercher un nouvel éditeur à qui il cèdera ces droits d'exploitation pour une réimpression ultérieure. C'est ce qui est appelé le « licensing term ».
Site de l'éditeur : www.bamboo.fr
Quelques excellents titres de la collection Angle Comics à découvrir absolument !

   
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