INTERVIEWS : Jean-Marc LAINÉ (première partie) 07/10/2005

Jean-Marc LAINE (Part 1) 07/10/2005

Jean-Marc LAINE (Part 2) 02/07/2006

 

Cet été, nous avons interviewé Jean-Marc Lainé, responsable de la collection Angle Comics chez Bamboo Édition.

Ceci en est la première partie.

 

Tout d'abord, peux-tu brièvement nous présenter Bamboo et comment a eu lieu le premier contact avec cet éditeur ?

Bamboo a été formée il y a sept ans. J'ai rencontré l'équipe au premier festival de Cluny. Ils ont commencé par occuper un créneau que n'occupait plus Dupuis ou Dargaud, qui est l'humour « gros nez ». Leur gros carton c'est les Profs. Comme les Gendarmes, les Foot Maniacs, etc... Il y a environ deux ans, ils ont ouvert une collection baptisée Grand Angle. Le créneau : « fantastique quotidien ». Une base d'aventure quotidienne avec un petit côté fantastique. Ce, pour se positionner sur le réaliste. Avec un format plus grand, un format Delcourt au lieu d'un format Dupuis. Et maintenant s'ouvre la collection comics, dans une logique d'éditeur généraliste. Ce qu'a fait Semic, et avant, ce qu'on fait Fershid Barusha avec Éditions USA et Panini, ça a créé un pôle d'activité dans le marché, et ils se sont dit qu'il y avait peut-être une place à prendre. Entre fin 2004 et début 2005, il y a eu une grosse redistribution, il y a eu des rencontres...

De mon côté, j'ai un album en tant que scénariste dans la collection Grand Angle. On se téléphone, on discute, ils me demandent comment ça se passe chez Semic - A l'époque j'y étais encore - et j'explique que Thierry Mornet est parti chez Delcourt. Ils me disent que Delcourt est en train de développer une ligne comics, et qu'eux-même, il faut qu'ils y pensent, mais que pour l'instant ils n'ont personne. Moi, j'étais sur le point de partir de chez Semic, alors je leur dis que je boucle mon départ, et une fois que je suis officiellement parti, j'envoie un CV. Ils me disent de plutôt leur envoyer un plan éditorial. J'ai envoyé un plan, nous nous sommes réunis, c'était début janvier, et on a décicé de ce que nous voulions faire. Olivier Sulpice, le patron, est plutôt partant pour une touche de fantastique dans un monde réaliste. Je lui ai alors expliqué que dans les comics, il n'a pas que ça, il y a aussi du super-héros, qui est surtout exploité par de gros éditeurs français, et également de la SF, de l'horreur, de la romance, etc...

Les premiers contacts se sont tissés à Angoulême, avec Dark Horse, DC..., puis nous avons continué par e-mail. Au départ, nous voulions lancer la collection en juin 2005. Pour ce faire, il aurait fallu avoir tous les argumentaires en avril, mais comme nous avons obtenu les contrats en février-mars, la période de temps était trop courte. Nous avons donc repoussé à septembre. J'ai assuré les premières traductions, au début, lorsque je pensais que l'échéance serait en juin. Puis, comme le délai est devenu plus important, j'ai dispatché le travail à d'autres traducteurs comme Alex Nikolavitch ou Edmond Tourriol. Ainsi, toutes les BD n'auront pas la même voix. Alex Nikolavitch se charge de Chosen. Edmond Tourriol, qui sait faire parler les ados, va prendre Tech Jacket. Les premières publications sont lettrées par Cedric Vincent, qui sort de chez Semic, et qui a travaillé chez Delcourt et les Humanos. Nous avons donc une équipe qui se connaît déjà bien.

 

As-tu participé aux études de marché ?

En fait, ça a été un croisement de compétences, d'envie et de positionnement éditorial. Par exemple, chez Bamboo, ils savent comment faire du comique gros nez. Ils commencent également à bien se positionner sur le fantastique réaliste, et moi, j'apporte mes connaissances liées au marché du comics, avec ses spécificités. Par exemple, l'un des premiers débats a été le suivant : Actuellement, il y a une grosse vague sur l'horreur, les zombies. Olivier et moi ne sommes pas fans, mais en ayant lu certaines parutions, nous nous sommes dit que ce serait dommage de passer à côté de certains de ces produits qui sont tout de même de qualité, et qui en plus, sont porteurs.

Moi, je connais le marché actuel, et en tant que vieux lecteur, je connais le marché ancien, et comme en ce moment, aux USA, il y a une politique de réédition, je vois apparaître des bouquins en réédition, ça veut donc dire que le matériel existe, que les droits sont disponibles, donc la situation se débloque, donc il y a peut-être quelque chose à faire.

J'ai également fourni des documents sur les caractéristiques du marché : Types de lecteurs, types de produits, chiffres de diffusion, chiffres de vente, etc... Bref, une sorte d'état des lieux. Je me charge aussi des argumentaires et d'apporter les contacts. Et eux, de leur côté, ils apportent une certaine assise en terme de diffusion et de réputation. Et on croise le tout... Il faut savoir que les décisions sont collégiales, et que nous sommes quatre, c'est donc très difficile d'avoir l'unanimité. Lorsque l'on décide de lancer un produit, on doit se demander quand il sera lancé, et avec quoi il sera couplé. Sur les deux mois de lancement, nous allons proposer trois produits, puis sur les mois suivants, ce sera deux produits par mois. Nous essayons donc de mélanger les séries, de manière à ce qu'elles paraissent environ tous les quatre, cinq mois. A propos des one-shots, nous essayons de déterminer si l'un est moins porteur, de façon à le faire paraître avec un titre plus fort. Par exemple, si nous avons un polar à diffuser, nous essayons de l'intégrer là où il n'y a pas encore de polar, de façon à ne pas avoir deux polars dans le même mois. Il y a aussi le feeling. Parfois, l'un d'entre nous ne sent pas telle série, et l'autre l'aime beaucoup. On essaie alors de trouver des arguments, ce qui nous permet de connaître le produit encore mieux. Ça a notamment été le cas pour Chosen, nous avons donc décidé de ne pas se précipiter, et de ne pas le faire paraître au tout début. La sortie se fera un petit peu plus tard, le temps d'asseoir la collection, d'avoir des argumentaires bétons, et que les plâtres soient déjà essuyés. Ainsi, jusqu'au dernier moment, tout peut bouger. Et pour de multiples raisons : Le CD n'arrive pas, il y a un couac dans la traduction, etc... C'est d'ailleurs pour cette raison que lorsque je vais voir un éditeur, je lui explique que je suis intéressé par plusieurs titres, et non un seul, et certains éléments comme la pagination, le format, l'avance à régler sont contractuels, mais pas la date exacte de la parution. Je lui propose une fourchette de temps, un trimestre, par exemple. Comme ça, s'il y a un problème en cours de route, je ne suis pas coincé, et il n'y a pas d'attentes auxquelles je ne réponds pas.

 

Comment procédez-vous au sein de l'équipe de travail ?

Je vais chercher les produits et je les propose à Olivier le patron, à Arnaud Plumeri, scénariste d'humour, qui s'occupe également des relations presses et éditeurs, et des argumentaires, à Alain Mauricet, qui est dessinateur pour Bamboo et connaisseur de comics. On a d'ailleurs, en général, les mêmes goûts en matière de comics. On discute et on argumente tous les quatre. Si nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord, c'est Olivier qui a le dernier mot, en tant que patron. Mais tout est argumenté. Par exemple, j'ai proposé un travail de Stefano Rafaelle chez Dark Horse. Il n'a pas été accepté, car son travail chez les Humanos n'a pas marché. C'était un véritable argument, et pas uniquement un refus parce que la BD ne plaisait pas. Et dans ce cas, c'est pas grave, je le garde sous le coude et je le ressortirai plus tard lorsque nous serons plus assis. Ce sont donc des discussions assez musclées, mais c'était déjà le cas chez Semic, avec Thierry Mornet, Jean-François Porcherot et moi.

D'une manière globale, le tout est assez collégial, chacun va fouiner un peu partout pour voir ce qui sort sur les sites d'éditeurs, on regarde le Previews ensemble. On essaie également de voir comment les représentants, les libraires, les auteurs, les journalistes réagissent. Par exemple, on a un très bon accueil sur Spyboy et sur 303. Et on se dit alors qu'on n'a pas eu tort. Mais c'est normal, car d'une part, certains des auteurs sont connus, la série Spyboy est une série que je qualifierais de patrimoniale, même si elle est relativement récente (1998), elle a tendance à rentrer dans le patrimoine comics, et les gens savent en parler. Maintenant, des titres comme Imagineries ou Lullaby, on verra, nous n'avons pas trop de visibilité, ce sont de jeunes auteurs, de jeunes séries, on verra. Pour nous, c'est la part de risque. On va chercher des noms, des auteurs, et on essaie d'avoir une cohérence, on essaie d'avoir du thriller, du polar, de l'aventure, et de temps en temps, on a quelque chose d'un peu plus horreur, fantastique...

 

Vous vous êtes intéressés aux titres d'Avatar Press...

Oui, 303, de Garth Ennis, est publié par Avatar. C'est un titre que je voulais, ça. J'aurais bien essayé aussi d'avoir le Robocop de Miller, et d'autres trucs de Warren Ellis mais pour l'instant, chez Bamboo, nous ne faisons pas de noir et blanc. On va d'abord installer la collection, et ensuite on fera les malins... Avatar a pas mal de produits en noir et blanc qui sont pas mal du tout, mais pour l'instant nous ne les faisons pas. Par exemple, il y a quelques produits de Warren Ellis qu'il serait très intéressant de développer, mais un peu plus tard, pas tout de suite. Pour plus tard, d'ailleurs, nous avons plein d'idée, mais pour l'instant, nous allons annoncer et proposer peu de choses, mais nous allons essayer de les faire bien. Et ensuite, on verra... Bamboo est une boîte qui fonctionne sur, par et avec l'humour. Donc, quelque part, l'aventure des comics s'inscrit dans une logique de diversification, d'exploration des différents marchés. Actuellement, nous prévoyons deux publications par mois. Si ça marche, nous en ferons trois, voire quatre si ça marche énormément, et si ça marche moins bien que prévu, nous réduirons à une publication par mois. On maintiendra une présence comics, mais on ne forcera pas la main aux gens. Soit on a des mauvais produits, soit on les a mal fait. Pour l'instant, on se consacre à la sortie de septembre-octobre, et ensuite on a le programme de janvier autour d'Angoulême... Pour l'instant, nous avons un planning qui court jusqu'à septembre-octobre 2006. Et celui de 2007 est en cours, mais il est encore possible de le moduler en fonction des premiers retours que l'on pourra avoir. Cela dit, les premières impressions des professionnels et des fans également, recueillies via internet sont plutôt positives.

 

A propos d'Angoulême, y aura-t-il des auteurs de comics invités sur le stand des Editions Bamboo ?

Pourquoi pas... Cela dit, la présence de Bamboo sur le dernier festival d'Angoulême a été jugée trop importante, elle sera donc réduite l'an prochain. Donc, si ça ne se fait pas sur le stand du festival lui-même, ça pourra se faire en partenariat avec des libraires, par exemple... Ou ça pourra être fait plus tard... Dans un premier temps, nous allons déjà essayer de vendre nos produits, nous allons déjà montrer que l'on sait faire ça. A propos de Bamboo, il faut bien voir une chose : Lorsque la première collection, l'humour « gros nez » a été lancée, tout le monde disait que ça ne marcherait pas. Et ça s'est très bien vendu. Ensuite, lorsque ça a été le tour de la collection « Grand Angle », on a dit que c'était trop calqué sur Delcourt ou Soleil, et que ça ne marcherait pas non plus. Résultat : Le Messager a été vendu au cinéma, et les meilleurs titres sont vendus à 10 000 - 15 000 exemplaires. Donc, maintenant, le but du jeu est de montrer que l'on peut également faire du comics... Mais si une opportunité se présente, si un auteur est à Paris, par exemple, on pourra peut-être monter une opération, mais nous ne monopoliserons pas les moyens sur la Collection « Angle Comics », qui est la troisième collection, la petite dernière. On va d'abord la laisser grandir, et après, on verra.

 

La Collection comics se nomme « Angle Comics » ?

Oui, on entend également parfois parler de « Bambooks », mais le vrai nom c'est « Angle Comics ». La deuxième collection, « Grand Angle », avait des sous-thèmes : « Angle de vue », avec ses témoignages, ses autobiographies, ses travaux d'auteurs, puis « Angle Fantasy », plus orientée Science-Fiction et Fantasy. Nous avons voulu poursuivre dans cette logique d'« angle », avec « Angle Comics ». Mais tout le monde parle de « Bambooks »... !!

 

Quel sera le format de ces albums ? Format comics ? Format franco-belge ?

Format comics. Relativement proche des Semic Books ou des 100% Marvel. Pour l'instant, on ne va pas faire les malins. On va déjà prouver qu'on peut faire des choses simples. On utilise le format des concurrents, car le public est habitué à ce genre de format-là. Ça fait maintenant environ cinq ans que Panini et Semic sortent ce format-là. Il est bien installé, il n'y a donc aucun intérêt à aller faire le malin en délaissant un format qui a prouvé sa popularité. Je pense qu'il y a également la place pour le cartonné, c'est ce que fait Delcourt, mais j'ai plus envie, de temps en temps, de sortir un produit spécial, soit parce qu'il est plus épais, soit parce qu'il est noir et blanc, soit parce que le style est différent, et de temps en temps sortir un beau cartonné... Mais tout ça, c'est pour plus tard...

Pour l'instant, on va sortir la collection, il y a six titres avant Noël, il y en aura deux par mois en 2006... On y va doucement, on ne veut pas non plus noyer le lecteur. Il y a le lecteur de comics pur et dur, qui achète énormément de choses, mais dont le budget n'est tout de même pas illimité, et il y a le lecteur franco-belge qui s'intéresse à des titres comme Y, the Last Man ou 100 Bullets, qu'il ne faut pas effrayer avec une sortie de trop de références d'un coup. Par exemple, personnellement, je ne suis pas un lecteur de manga. Lorsque l'on m'en conseille un, c'est souvent un ami qui me prête le bouquin, car en librairie, moi, je suis complètement perdu. C'est vrai que ça fait maintenant des années qu'il y en a beaucoup, et comme je n'ai pas suivi je suis débordé, mais je n'ai pas envie que le lecteur, qui, à la base, n'est pas forcément fan de comics, soit débordé. S'il y avait quatre titres tous les quinze jours à acheter, il serait débordé, il ne pourrait pas les acheter tous, ne les saisirait pas forcément tous, et n'oserait pas les acheter. Idem avec le libraire.

D'où l'importance de l'accroche. Pour cela, nous sommes allés voir du côté des collections S.F. ou polar en littéraure. Souvent, sur le dos de couverture, il y a une accroche concernant l'histoire, puis un paragraphe en italique sur l'auteur. Panini le fait un peu également, et nous avons essayer de pousser ça un peu plus loin, en expliquant, par exemple, pourquoi nous trouvons que Spyboy est une bonne série, ou qu'est-ce que 303 a apporté à la carrière de Garth Ennis. Nous avons étudié la taille des caractères utilisée dans les 100% Marvel, et nous pensons qu'il est possible de diminuer cette taille, tout en restant lisible, ce qui permet de donner plus d'informations. On envisage également de se ménager un rabat pour y faire figurer les biographies des auteurs. Ainsi, rien qu'en manipulant la couverture du bouquin, le futur lecteur doit avoir des informations susceptibles de l'accrocher, et qui ne soient pas uniquement BD. Dans les accroches, il est par exemple possible de trouver des liens avec le cinéma. Chez Semic, je me souviens que dans l'argumentaire de Leave it To Chance, j'avais écrit : « Si vous avez aimé Harry Potter, vous aimerez Leave it to Chance ». Avec des accroches qui font allusions à d'autres media, il est possible d'intéresser un autre public, celui qui n'achète pas beaucoup de BD, mais qui va au cinéma, ou celui qui achète plus de romans que de BD, etc... Avec Olivier, lorsque nous avons commencé à discuter du positionnement éditorial de la collection « Angle Comics », c'était dans une logique un peu télé : Du quotidien avec une touche de fantastique, comme John Doe ou X-Files : Un univers réel qui, petit à petit, glisse vers le fantastique.

 

As-tu également une activité au sein des deux autres collections Bamboo, ou ne t'occupes-tu que de « Angle Comics » exclusivement ?

Je mets mon grain de sel un peu partout ! Hervé Richez, qui s'occupe de la collection « Grand Angle » me montre régulièrement des dossiers en me demandant mon avis, mais ce n'est pas un avis décisionnel. Moi, mon secteur, c'est vraiment les comics. Et ça m'occupe suffisamment !! On se montre nos travaux respectifs pour qu'il y ait une cohésion éditoriale entre les collections, mais c'est limité, car les marchés sont très différents. Car des équivalents comics du Messager, par exemple, il n'en existent pas beaucoup, il y a beaucoup plus de fantastique, d'horreur. Le but du jeu est de trouver des choses qui ont fonctionné chez les américains et qui ont un potentiel chez nous.

 

Crush, Lazarus Jack et SpyBoy : Les trois premiers titres Angle Comics sortis en septembre 2005.

Fierce et Remains sortent en octobre 2005.